Hugo Tremblay
Les
politiques de développement des filières énergétiques au Québec ignorent le
rendement énergétique net. Dans un contexte de valse-hésitation à l’égard des
hydrocarbures, ce concept permettrait d’écarter les filières les moins
prometteuses et de sélectionner les secteurs de production énergétique qui
doivent être privilégiés afin de favoriser le développement durable.
Qu’est-ce que c’est?
Le rendement énergétique net est lié au ratio de l’énergie
produite sur l’énergie investie. Ce ratio, appelé taux de retour énergétique, exprime
la différence entre la quantité d’énergie requise pour produire un type d’énergie
par rapport à la quantité d’énergie effectivement obtenue et utilisable au
terme du processus de production.
Plus le ratio de l’énergie produite sur l’énergie investie
est grand, meilleur est le rendement énergétique : un taux de 100:1 est
meilleur que 3:1. L’utilité du rendement énergétique est indéniable : plus
la quantité d’énergie dépensée pour produire un type d’énergie donné est
petite, plus sa production est attrayante; à l’inverse, il est préférable
d’écarter une filière énergétique lorsqu’elle requière beaucoup d’énergie pour
en produire peu.
Taux
de retour minimal
Pour fonctionner, l’économie dépend de sources d’énergie qui
offrent un rendement énergétique supérieur à un seuil minimal. Une ressource
dont le taux de retour est de 1:1 génère uniquement l’énergie nécessaire pour
sa propre production sans assurer le niveau de vie minimal de la population ni
prendre en charge le maintien des infrastructures socio-économique. Un taux de
retour de 1:1 n’est tout simplement pas viable.
Le niveau de développement économique en Occident requière
plutôt un taux de retour énergétique minimal de 3:1. À ce niveau minimal, il
n’existe pas de surplus énergétique pour entreprendre des activités non-essentielles
comme un voyage en Floride ou la tonte et l’arrosage de sa pelouse.
C’est sous ce seuil minimal que le rendement énergétique du
pétrole pourrait passer à moyen terme. La fin du pétrole serait due non pas à
la déplétion de ressources encore vastes mais plutôt à l’impossibilité de les
produire à un rendement énergétique utile.
Dépendance
au pétrole
Le développement économique des cent dernières années a été
alimenté par le pétrole. Dans un contexte favorable, son taux de retour peut
atteindre 100:1. En d’autres mots, seulement 1% de l’énergie contenue dans 1
litre de pétrole doit être réinvesti dans le processus de production afin de
maintenir l’approvisionnement en énergie; les 99% d’énergie excédentaire par
litre peuvent être investis à discrétion dans la construction d’une autre
route, un voyage à l’étranger ou un iPhone, au bénéfice de la croissance
économique.
Ces chiffres permettent de mieux comprendre l’expansion sans
précédent de l’économie au cours du 20ième siècle. Ils mettent aussi
en doute les projections de croissance économique actuelles. Le pétrole est une
ressource non renouvelable, sa consommation en diminue continuellement les
réserves existantes, et son exploitation est soumise à des contraintes de plus
en plus importantes.
Diminution
du rendement
Le taux de retour énergétique du pétrole est passé d’environ
100:1 en 1930 à 30:1 en 1970, pour tomber entre 18:1 et 11:1 de nos jours. La
diminution persistante du taux de retour à cause de l’épuisement des gisements
actuels et du déplacement vers de nouveaux gisements plus difficiles d’accès,
où l’extraction est plus ardue et couteuse, pourrait rendre l’exploitation du
pétrole inintéressante à moyen terme.
Les nouvelles contraintes liées au pétrole pourraient
générer assez d’inquiétude dans les coulisses du pourvoir pour expliquer l’étonnante
insistance à mettre en œuvre des politiques d’austérité malgré la
quasi-stagnation des économies occidentales depuis la Grande Récession de la
fin des années 2000 et le succès historique des politiques keynésiennes de
relance par le déficit public.
Pour éviter d’être piégé par une dette qui augmente indéfiniment
à un taux supérieur au taux de croissance d’une économie déprimée par la
faiblesse des taux de retour énergétique, il peut sembler primordial de réduire
les dépenses publiques et de rembourser la dette aussi rapidement que possible.
Quelles
alternatives?
Une autre solution serait de faire appel à une source d’énergie
alternative dont le rendement énergétique se compare avantageusement à celui du
pétrole. Les taux de retour de différentes filières énergétiques indiquent les options
disponibles. Ils expliquent le recours accru au charbon (≈50:1) malgré ses
impacts en matière d’émissions de gaz à effet de serre.
L’hydro-électricité (11:1 à 267:1) et, dans une moindre
mesure, l’éolien (≈18:1) sont les énergies renouvelables les plus intéressantes.
Toutefois, le potentiel de développement de la première est limité par la
géographie du réseau hydrographique et le nombre de sites disponibles, tandis
que la seconde produit un apport intermittent en fonction du vent.
Quoi qu’il en soit, la diminution persistante du rendement
du pétrole à partir de son sommet historique de 100:1 marque la fin des surplus
énergétiques abondants, tandis que les ressources alternatives ne peuvent
assurer l’après-pétrole sans contraintes majeures.
Hydrocarbures
non-conventionnels
Au Québec, les politiques énergétiques ne tiennent généralement pas compte
du taux de retour. Son utilisation pour évaluer la
pertinence du développement des hydrocarbures non-conventionnels de Gaspésie et
d’Anticosti est d’autant plus essentielle que le gouvernement affiche une
volonté ferme d’encourager le développement du pétrole de schiste sans tenir
compte d’études récentes qui démontrent le très faible rendement énergétique de
cette filière.
Une analyse préliminaire publiée en 2011 avance que le taux
de retour de certains types de pétrole de schiste pourrait être de 2:1,
c’est-à-dire bien inférieur à celui du pétrole conventionnel et même inférieur
au seuil minimal de 3:1 requis pour soutenir l’économie à son niveau actuel.
Un rapport détaillé dont les résultats ont été publiés en
février 2013 dans la prestigieuse revue Nature
indique que le faible rendement énergétique du pétrole de schiste, le déclin
accéléré des puits stimulés par fracturation, l’épuisement déjà apparent des
meilleurs gisements, et le rythme élevé de forage requis pour maintenir la
production à niveau, font de cette ressource une alternative sans intérêt à
moyen terme.
Perspectives
québécoises
Dans un
contexte global de diminution des surplus énergétiques à cause de la dégradation
des taux de retour, le Québec semble fortuné de nager dans les excédents
d’électricité dégagés par Hydro-Québec. Cependant, la province est aussi
dépendante du pétrole, qui est entièrement importé et assure 40% de la
consommation totale d’énergie.
À échéance,
il faudra lui substituer d’autres sources d’énergie pour éviter les impacts
économiques résultant de la diminution du rendement énergétique du pétrole
extrait à l’étranger, diminution qui s’exprime par l’accroissement de la
facture d’importation dans la balance commerciale du Québec.
Le
gouvernement a récemment annoncé son engagement en faveur de l’électrification
des transports. C’est un pas dans la bonne direction puisque le pétrole fournit
presque 100% de l’énergie utilisée par ce secteur. Néanmoins, la substitution de l’électricité au pétrole ne
peut se conjuguer durablement à la hausse de la consommation d’énergie par
habitant que connait le Québec dans un contexte de déclin du rendement
énergétique.
D’ailleurs, il est délicat que l’État québécois considère les bénéfices
d’Hydro-Québec comme un revenu essentiel qui doit augmenter à long terme. Il
peut en résulter un biais en faveur de la croissance de la consommation
d’électricité qui s’agence mal avec les contraintes imposées par la diminution
des taux de retour énergétique.