Tuesday, March 12, 2013

Le rendement énergétique net : principe cardinal d’une politique énergétique québécoise à l’égard des hydrocarbures


Hugo Tremblay
Les politiques de développement des filières énergétiques au Québec ignorent le rendement énergétique net. Dans un contexte de valse-hésitation à l’égard des hydrocarbures, ce concept permettrait d’écarter les filières les moins prometteuses et de sélectionner les secteurs de production énergétique qui doivent être privilégiés afin de favoriser le développement durable.
Qu’est-ce que c’est?
Le rendement énergétique net est lié au ratio de l’énergie produite sur l’énergie investie. Ce ratio, appelé taux de retour énergétique, exprime la différence entre la quantité d’énergie requise pour produire un type d’énergie par rapport à la quantité d’énergie effectivement obtenue et utilisable au terme du processus de production.
Plus le ratio de l’énergie produite sur l’énergie investie est grand, meilleur est le rendement énergétique : un taux de 100:1 est meilleur que 3:1. L’utilité du rendement énergétique est indéniable : plus la quantité d’énergie dépensée pour produire un type d’énergie donné est petite, plus sa production est attrayante; à l’inverse, il est préférable d’écarter une filière énergétique lorsqu’elle requière beaucoup d’énergie pour en produire peu.
Taux de retour minimal
Pour fonctionner, l’économie dépend de sources d’énergie qui offrent un rendement énergétique supérieur à un seuil minimal. Une ressource dont le taux de retour est de 1:1 génère uniquement l’énergie nécessaire pour sa propre production sans assurer le niveau de vie minimal de la population ni prendre en charge le maintien des infrastructures socio-économique. Un taux de retour de 1:1 n’est tout simplement pas viable.
Le niveau de développement économique en Occident requière plutôt un taux de retour énergétique minimal de 3:1. À ce niveau minimal, il n’existe pas de surplus énergétique pour entreprendre des activités non-essentielles comme un voyage en Floride ou la tonte et l’arrosage de sa pelouse.
C’est sous ce seuil minimal que le rendement énergétique du pétrole pourrait passer à moyen terme. La fin du pétrole serait due non pas à la déplétion de ressources encore vastes mais plutôt à l’impossibilité de les produire à un rendement énergétique utile.
Dépendance au pétrole
Le développement économique des cent dernières années a été alimenté par le pétrole. Dans un contexte favorable, son taux de retour peut atteindre 100:1. En d’autres mots, seulement 1% de l’énergie contenue dans 1 litre de pétrole doit être réinvesti dans le processus de production afin de maintenir l’approvisionnement en énergie; les 99% d’énergie excédentaire par litre peuvent être investis à discrétion dans la construction d’une autre route, un voyage à l’étranger ou un iPhone, au bénéfice de la croissance économique.
Ces chiffres permettent de mieux comprendre l’expansion sans précédent de l’économie au cours du 20ième siècle. Ils mettent aussi en doute les projections de croissance économique actuelles. Le pétrole est une ressource non renouvelable, sa consommation en diminue continuellement les réserves existantes, et son exploitation est soumise à des contraintes de plus en plus importantes.
Diminution du rendement
Le taux de retour énergétique du pétrole est passé d’environ 100:1 en 1930 à 30:1 en 1970, pour tomber entre 18:1 et 11:1 de nos jours. La diminution persistante du taux de retour à cause de l’épuisement des gisements actuels et du déplacement vers de nouveaux gisements plus difficiles d’accès, où l’extraction est plus ardue et couteuse, pourrait rendre l’exploitation du pétrole inintéressante à moyen terme.
Les nouvelles contraintes liées au pétrole pourraient générer assez d’inquiétude dans les coulisses du pourvoir pour expliquer l’étonnante insistance à mettre en œuvre des politiques d’austérité malgré la quasi-stagnation des économies occidentales depuis la Grande Récession de la fin des années 2000 et le succès historique des politiques keynésiennes de relance par le déficit public.
Pour éviter d’être piégé par une dette qui augmente indéfiniment à un taux supérieur au taux de croissance d’une économie déprimée par la faiblesse des taux de retour énergétique, il peut sembler primordial de réduire les dépenses publiques et de rembourser la dette aussi rapidement que possible.
Quelles alternatives?
Une autre solution serait de faire appel à une source d’énergie alternative dont le rendement énergétique se compare avantageusement à celui du pétrole. Les taux de retour de différentes filières énergétiques indiquent les options disponibles. Ils expliquent le recours accru au charbon (≈50:1) malgré ses impacts en matière d’émissions de gaz à effet de serre.
L’hydro-électricité (11:1 à 267:1) et, dans une moindre mesure, l’éolien (≈18:1) sont les énergies renouvelables les plus intéressantes. Toutefois, le potentiel de développement de la première est limité par la géographie du réseau hydrographique et le nombre de sites disponibles, tandis que la seconde produit un apport intermittent en fonction du vent.
Quoi qu’il en soit, la diminution persistante du rendement du pétrole à partir de son sommet historique de 100:1 marque la fin des surplus énergétiques abondants, tandis que les ressources alternatives ne peuvent assurer l’après-pétrole sans contraintes majeures.
Hydrocarbures non-conventionnels
Au Québec, les politiques énergétiques ne tiennent généralement pas compte du taux de retour. Son utilisation pour évaluer la pertinence du développement des hydrocarbures non-conventionnels de Gaspésie et d’Anticosti est d’autant plus essentielle que le gouvernement affiche une volonté ferme d’encourager le développement du pétrole de schiste sans tenir compte d’études récentes qui démontrent le très faible rendement énergétique de cette filière.
Une analyse préliminaire publiée en 2011 avance que le taux de retour de certains types de pétrole de schiste pourrait être de 2:1, c’est-à-dire bien inférieur à celui du pétrole conventionnel et même inférieur au seuil minimal de 3:1 requis pour soutenir l’économie à son niveau actuel.
Un rapport détaillé dont les résultats ont été publiés en février 2013 dans la prestigieuse revue Nature indique que le faible rendement énergétique du pétrole de schiste, le déclin accéléré des puits stimulés par fracturation, l’épuisement déjà apparent des meilleurs gisements, et le rythme élevé de forage requis pour maintenir la production à niveau, font de cette ressource une alternative sans intérêt à moyen terme.
Perspectives québécoises
Dans un contexte global de diminution des surplus énergétiques à cause de la dégradation des taux de retour, le Québec semble fortuné de nager dans les excédents d’électricité dégagés par Hydro-Québec. Cependant, la province est aussi dépendante du pétrole, qui est entièrement importé et assure 40% de la consommation totale d’énergie.
À échéance, il faudra lui substituer d’autres sources d’énergie pour éviter les impacts économiques résultant de la diminution du rendement énergétique du pétrole extrait à l’étranger, diminution qui s’exprime par l’accroissement de la facture d’importation dans la balance commerciale du Québec.
Le gouvernement a récemment annoncé son engagement en faveur de l’électrification des transports. C’est un pas dans la bonne direction puisque le pétrole fournit presque 100% de l’énergie utilisée par ce secteur. Néanmoins, la substitution de l’électricité au pétrole ne peut se conjuguer durablement à la hausse de la consommation d’énergie par habitant que connait le Québec dans un contexte de déclin du rendement énergétique.
D’ailleurs, il est délicat que l’État québécois considère les bénéfices d’Hydro-Québec comme un revenu essentiel qui doit augmenter à long terme. Il peut en résulter un biais en faveur de la croissance de la consommation d’électricité qui s’agence mal avec les contraintes imposées par la diminution des taux de retour énergétique.
Version complète incluant références à: http://tinyurl.com/bll7hsu

Friday, January 18, 2013

GASPÉ: ENTRE CHARYBDE ET SCYLLA


Les incertitudes qui entourent la validité du règlement de Gaspé sont le symptôme d’un régime législatif centralisé en porte-à-faux face aux principes du développement durable

Depuis quelques jours, la question de l’exploitation du pétrole de schiste en Gaspésie fait les manchettes. La municipalité de Gaspé, sur le territoire de laquelle Pétrolia mène des activités d’exploration d’hydrocarbures, a adopté un règlement qui prévoit des distances d’éloignement autour des sources et des prises d’eau afin d’en protéger la qualité.

La préséance des activités minières

Des questions ont été soulevées à l’égard de la validité du règlement municipal. Le doute provient notamment de ce que les activités minières, y compris l’exploration d’hydrocarbures, sont réputées avoir préséance sur le régime d’aménagement du territoire municipal. Qu’en est-il?

La lecture du règlement de Gaspé, et en particulier du préambule du règlement, indique que la municipalité a eu l’intention d'utiliser la Loi sur les compétences municipales (LCM) comme fondement de sa compétence pour adopter ce règlement.

L'idée est d’éviter l'article 246 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme (LAU), qui donne préséance aux activités d’exploration pétrolière effectuées conformément à la Loi sur les mines par rapport aux règlements municipaux adoptés en vertu de la LAU : si la municipalité n’utilise pas un pouvoir accordé par la LAU, la préséance accordée par l’article 246 ne s’applique pas, et les activités d’exploration restent soumises au règlement municipal.

Si l’on accepte que le fondement de la compétence de Gaspé à l’égard de son règlement repose sur la LCM plutôt que la LAU, l’incertitude quant à la validité du règlement municipal a une autre cause.

La préséance des règlements provinciaux

Le problème peut provenir du paragraphe 4 de l'article 124 de la Loi sur la qualité de l'environnement (LQE), qui indique que les règlements provinciaux adoptés en vertu de la LQE prévalent sur tout règlement municipal portant sur le même objet, à moins – et la réserve est importante comme on le verra un peu plus loin – que le règlement municipal ne soit approuvé par le ministre. En d’autres mots, ce paragraphe prévoit qu’en principe, le règlement municipal de Gaspé n’est pas applicable s’il existe un règlement provincial sous la LQE qui vise la même problématique.

Dans ce contexte, Pétrolia pourrait argumenter que le Règlement sur la protection et la réhabilitation des terrains (RPRT), un règlement provincial pris sous la LQE, vise le même objet que le règlement municipal de Gaspé, ce qui rendrait ce dernier inopérant.

En effet, les articles 4 à 10 du RPRT imposent des obligations de contrôle de la qualité des eaux souterraines lorsque certaines activités industrielles ou commerciales prennent place sur un terrain dans le cas où une installation de captage d'eau de surface ou d'eau souterraine destinée à la consommation humaine se trouve à moins d'un kilomètre à l'aval hydraulique du terrain.

La liste des activités industrielles et commerciales assujetties à cette obligation inclut l'extraction de pétrole et de gaz, mais omet l'exploration de pétrole. L'argument serait donc que cette omission porte à conséquence : ce qui est exclu des obligations de contrôle de la qualité des eaux souterraines sous le RPRT ne peut être soumis à des obligations du même ordre par le règlement municipal de Gaspé.

Le même objet

Il est possible que les craintes à l'égard de l’article 124 LQE ne soient pas fondées, et que cet article ne menace pas l’application du règlement de Gaspé. Les mesures que ce règlement municipal prévoit sont très différentes de celles du RPRT. Néanmoins, la Cour d'appel a interprété l’article 124 LQE largement. Comme l'indiquait récemment la Cour supérieure dans l’affaire 4410912 Canada c. St-Télesphore, 2011 QCCS 2563:

« [66] La jurisprudence en provenance de la Cour d'appel du Québec nous enseigne qu'il n'est pas nécessaire qu'un règlement municipal vienne en contradiction formelle avec celui qui a été adopté par le gouvernement pour que le règlement provincial prévale. Il importe peu que le règlement municipal soit plus sévère ou plus contraignant que le règlement provincial pour devenir inopérant. Dès lors que le règlement municipal porte sur le même objet qu'un règlement du gouvernement auquel s'applique l'article 124 LQE, cela suffit et le règlement municipal devra céder le pas.
[67] On ne parlera donc pas ici de double aspect et de "prépondérance dans la mesure seulement de 'incompatibilité" ("to the extent of the inconsistency") comme c'est le cas en droit constitutionnel canadien lorsqu'on se réfère à la prépondérance fédérale. Le seul fait de l'existence d'un règlement provincial portant sur le même objet que le règlement municipal suffit pour écarter l'application de ce dernier. 
[68] Deuxième remarque sur ces principes: […] on ne parlera pas ici de nullité ou d'ultra vires d'un règlement municipal qui porterait sur le même objet que le règlement provincial, mais plutôt d'inopérabilité et d'inapplicabilité. Selon l'article 124 LQE, les règlements provinciaux "prévalent sur tout règlement municipal portant sur le même objet"; les règlements provinciaux ne rendent pas nuls pour autant les règlements municipaux ayant le même objet, ils les rendent seulement inopérants. »

Compte tenu que l’intention de Gaspé est de protéger l'eau souterraine par des distances d'éloignement d'une façon qui rappelle le règlement provincial, il reste possible que l'article 124 LQE soit un écueil à l’application du règlement municipal si la question est portée devant les tribunaux.

L’approbation ministérielle

Reste à déterminer si le règlement de Gaspé peut éviter le piège de l’article 124 LQE grâce à l’approbation du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEFP).

Ce matin même, Alexandre Shields révélait dans Le Devoir (lien à l’article) que le MDDEFP reconnaît la validité du règlement municipal de Gaspé. S’agit-il d’une approbation au sens du paragraphe 4 de l’article 124 LQE? Allons voir le texte de ce paragraphe :

« [Les règlements provinciaux élaborés en vertu de la LQE – dont le RPRT] prévalent sur tout règlement municipal portant sur le même objet, à moins que le règlement municipal ne soit approuvé par le ministre auquel cas ce dernier prévaut dans la mesure que détermine le ministre. Avis de cette approbation est publié sans délai à la Gazette officielle du Québec. Le présent alinéa s'applique malgré l'article 3 de la Loi sur les compétences municipales. » (Soulignements ajoutés)

C’est ici que les mots exacts du porte-parole du MDDEFP rapportés par Le Devoir prennent tout leur sens : le ministre n’approuve pas mais « reconnaît la validité du règlement de Gaspé tant qu’une autorité compétente ne l’invalidera pas ». À moins d’une publication dans la Gazette Officielle à l’effet d’approuver le règlement municipal au cours des prochaines semaines, cette annonce pour le moins ambiguë laisse penser que le MDDEFP reconnaîtrait tout aussi bien la décision d’un tribunal à l’effet que le RPRT rend inapplicable le règlement de Gaspé.

En d’autres mots, il est possible que le MDDEFP évite de trancher entre la municipalité et Pétrolia en déclinant d’utiliser son pouvoir tout en s’en remettant aux décisions des tribunaux.

Un régime centralisé

En fait, l’ambiguïté de la position du MDDEFP dans un contexte de tensions sociales est symptomatique d'une dérive plus fondamentale. On l'a noté à plusieurs reprises, le droit québécois qui vise la gestion des ressources naturelles, la protection de l'environnement, et l'aménagement du territoire est fondamentalement centralisateur.

Cette tendance a été démontrée depuis longtemps par la doctrine à l'égard des pouvoirs d'aménagement du territoire dont disposent les municipalités – les travaux de l’honorable Lorne Giroux, alors professeur à l’Université Laval et maintenant juge à la Cour d’appel viennent en tête à ce propos. Le régime québécois qui vise ces questions met en place une structure de pouvoir déconcentré plutôt que délégué. Les municipalités sont souvent prisonnières des choix politiques effectués par le gouvernement provincial et ne disposent que de très peu de marge de manœuvre pour exercer leurs compétences de façon indépendante.

Les tendances contraires à la délégation vers les paliers de gouvernance plus proche du citoyen s'expriment justement par l'intermédiaire de l'article 124 LQE et du fameux article 246 LAU: somme toute, lorsque le gouvernement provincial autorise certaines activités en territoire municipal, l'articulation des régimes légaux applicables fait en sorte que les municipalités ne peuvent s'y opposer.

L’inadéquation au développement durable

Il en résulte une structure légale qui concentre le pouvoir au niveau provincial aux dépens du niveau municipal. Ce résultat contredit les principes du développement durable. Par exemple, la Loi sur le développement durable énonce les principes de subsidiarité, de participation, et de partenariat et coopération intergouvernementale.

Aucun de ces principes n'est respecté dans un contexte de tension entre les municipalités et le gouvernement provincial, tensions qui émergent régulièrement à l'égard de diverses questions qui touchent entre autres au développement des activités agricoles, à l'épandage de matières fertilisantes, à la protection des sources d'eau et à l’embouteillage.

En fait, le gouvernement provincial est arrivé au bout d'une logique d'immobilisme voilé. Depuis plusieurs années, certaines réformes en droit de l'environnement et des ressources naturelles visent à ménager la chèvre et le chou, à énoncer de grands principes progressifs afin de satisfaire l'opinion publique tout en préservant le statut quo.

Les avancées législatives en faveur de la protection de l'environnement sont souvent plus déclaratives que réellement opératoires et contraignantes. Le droit à un environnement sain inclus en 2006 dans la Charte des droits et libertés de la personne en fournit un exemple, puisqu'il ne va pas plus loin que ce que prévoit déjà la loi. La structure de gestion par bassins versants mise en place en 2009 par la Loi sur le caractère collectif des ressources en eau reste marginalisée. Font écho à cette tendance à l'inertie les constats présentés par le rapport du Commissaire provincial au développement durable de 2011-2012.

La fin de l’immobilisme

Cependant, à force de déclarations et d'énoncés de principe, des lignes de force en faveur du développement durable se matérialisent progressivement en droit québécois et vont finir par donner des outils aux communautés et aux citoyens pour mener une action conforme à leur désir de protéger leur milieu de vie et un environnement sain. C'est devant ces acteurs dynamiques que l'inertie gouvernementale devient la plus apparente.

Il est grand temps que le gouvernement assume le rôle qu'il prétend jouer en matière de développement durable et de protection de l'environnement, et qu’il mette en place des régimes législatifs véritablement conformes à ses intentions affichées afin de favoriser la paix sociale entre les différentes parties prenantes du développement au Québec.

Plusieurs solutions sont déjà connues. Il faut la volonté politique de les mettre en œuvre. De nombreux acteurs et institutions le proposent depuis des décennies : il est plus qu'urgent d'abolir la préséance enchâssée en droit dont disposent les activités minières aux dépens des autres usages du territoire et de la protection de l'environnement. De façon plus générale, il est impératif que le droit reflète plus fidèlement les principes du développement durable afin de rendre possible une démocratie fidèle à la volonté des citoyens aux plans local et régional.